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Le destin de Marie

Cette nouvelle porte sur la résilience féminine et suscite une réflexion sur l’importance de la solidarité et de l’empathie en période de crise.

Attablées dans le fond du café, deux amies mettaient à jour leurs nouvelles et tout bas,  Josée confia à Simone :

─ Ma sœur vient de faire une fausse-couche. Je lui ai fait comprendre qu’élever un enfant seule aurait été une catastrophe et qu’elle venait de l’échapper belle.

 Simone baissa les yeux et garda le silence quelques minutes. Josée intriguée lui demanda :

─ Qu’est-ce qu’il y a?

─ Tu aimes ta sœur?

─ Oui… quelle question…

─ Elle n’a pas besoin de conseil, ni d’opinion, mais de beaucoup, beaucoup, beaucoup de tendresse.

─ Une fausse-couche, dans les circonstances, ce n’est pas la mer à boire.

─ Non? Tu crois qu’une fausse-couche ne change rien au destin d’une femme, qu’on peut comparer cela à une règle abondante ou même à une gastroentérite… pourquoi pas? Après tout, des maux de cœur, des crampes de ventre deux jours et tout est fini. Eh bien, écoute un peu l’histoire de Marie. Tu verras ce qu’il en coûte vraiment à une femme.

Marie terminait ses études universitaires, elle avait l’avenir devant elle. Confiante, elle élaborait déjà des plans d’avenir. Une fois son diplôme en poche, elle avait mis de côté des économies pour partir un an en Europe, suivre un stage dans une firme française.

Elle avait un copain; chacun vivait dans son appartement respectif. Samuel retournerait chez lui à la fin de ses études. Ils resteraient en contact, mais une fois sa maîtrise terminée, ils prendraient des chemins différents.

Les règles de Marie s’éternisaient. Elle prit un rendez-vous à la clinique par mesure de sécurité. Le médecin l’ausculta et l’infirmière suggéra un test de grossesse. Il s’avéra positif à la stupeur de Marie. La clinique la référa immédiatement à un gynécologue. Comment avait-elle pu tomber enceinte avec un stérilet et Samuel portait presque toujours un condom… 

L’angoisse, les pertes sanguines de plus en plus abondantes et les étourdissements mirent à rude épreuve ses capacités de concentration. Ne voulant pas alarmer Samuel avant de connaitre le diagnostic du médecin, elle prétexta être en retard dans la préparation de ses examens du premier semestre. Ils se verraient dans deux semaines, une fois les examens passés. Samuel réserva une table dans leur restaurant favori pour fêter cette étape.

Ah! Josée, il s’en passe des choses en deux semaines! Il ne fallut que quelques jours pour que la belle, vive, mignonne, audacieuse au teint cuivré et aux yeux rieurs couleur de noisette se transforme en une petite chose timide, au teint vert et aux yeux noirs profonds comme des grottes.

Son frère, l’apercevant au sortir d’une salle de classe, inquiet, téléphona à leur mère pour lui demander si Marie l’avait contactée. Sa mère le rassura en lui expliquant que sa sœur l’aurait alertée si quelque chose n’allait pas. Mais quand on est indépendante et fière, on ne contacte ses parents qu’en cas de force majeure, et même si l’heure était grave, elle savait qu’il n’était pas encore temps pour demander de l’aide.

À sa première rencontre chez le gynécologue, celui-ci mit tout de suite les pendules à l’heure en lui demandant si elle désirait garder l’enfant, car il ne voulait pas travailler pour rien. Sinon, il ferait avancer rapidement le dossier. Comme elle perdait abondamment de sang depuis plusieurs semaines, il demanda une écographie d’urgence.

La question du spécialiste réveilla en elle bien des questionnements. Quand on a vingt ans, on envisage l’avenir comme un sentier bien tracé et même si on est prête à prendre des chemins de traverse, on croit toujours à sa bonne étoile. L’année dernière, l’université avait mis en place un programme pilote pour les étudiantes en résidence pour diminuer le nombre de grossesses non désirées. Des séances d’information, les services d’un centre de santé avec une infirmière et un gynécologue rattachés à cette initiative allaient sûrement régler le problème. À la surprise générale, rassurées par l’information reçue et des connaissances plus poussées, les filles avaient pris plus de chance et le nombre de grossesses avait doublé. Comme elles, Marie dû reconnaître, qu’à chaque fois qu’elle faisait l’amour en prenant un risque, elle jouait à la roulette russe.

Si l’enfant était viable? Le garderait-elle? Samuel était un amant de passage… Elle avait répondu par l’affirmative au questionnement du gynécologue et elle savait quelle serait incapable d’avorter. Elle ne garderait pas l’enfant… elle le donnerait à un couple capable de l’élever avec amour. Elle avait toujours voulu avoir des enfants, au moins quatre, mais dans des conditions favorables.

Deux jours plus tard, suite à son écographie, le médecin lui expliqua qu’il s’agissait d’une grossesse ectopique et quelle devait se présenter à l’hôpital. Il désirait tenter d’aller chercher à main le fœtus qui s’était développé dans une trompe car une intervention risquait d’endommager les trompes et de la rendre stérile. Comme l’issue était incertaine, elle devait demander à un proche de la conduire.

Elle contacta sa mère en lui expliquant la situation. L’intervention se passa très bien et elle put quitter l’hôpital le jour même. Sur le chemin du retour, sa mère ne dit pas un mot et s’enferma dans son bureau. Marie travailla tout l’après-midi à la librairie de sa mère et quitta sans avoir eu une conversation avec celle-ci. Les grossesses hors mariage n’étaient pas acceptables dans sa famille. Son père ne sut jamais qu’elle avait été enceinte.

Samuel ne la rappela pas après qu’elle lui eu annoncé la nouvelle.

Même ses amis firent comme si rien ne s’était passé. Déçue, elle ne termina pas l’année, annula le stage et se trouva un emploi.

Après avoir obtenu un bon emploi au gouvernement, elle crut de nouveau à sa destinée et se maria pour fonder une nombreuse famille. Mais la destinée est une commère imprévisible et capricieuse qui joue avec les décisions et les actions individuelles.

À peine mariée, elle s’aperçut de l’absence de ses règles et toute heureuse, pensa être enceinte, mais non, le spécialiste lui annonça que sa vie de femme était terminée à trente-deux ans, mais que la médecine pouvait repartir le système.

Décidée, elle profita de l’avancée de la science, et un an plus tard elle n’était toujours pas enceinte. Après de nombreux tests, le couple se fit annoncer que le nombre de spermatozoïdes de monsieur était très bas. La science pouvait y remédier. Le couple tenta sa chance et un an plus tard, Marie était enfin enceinte.

Deux mois plus tard, en pleine nuit, elle accouchait prématurément. À l’urgence, on la prépara pour un curetage.

Un homme tout joyeux, avec un bouquet de ballons bleus entra dans sa chambre en s’exclamant :

─ Je suis fou de joie, mon fils vient d’avoir un garçon. Je me suis trompé de chambre… C’est une fille ou un garçon?

─ Quoi?

 L’homme survola du regard la chambre où deux jeune femmes reposaient seules sans famille, et sans cadeaux.

─ Je m’excuse… et il sortit rapidement.

─ Comment un visiteur peut-il se tromper d’étage, il se croit à la pouponnière?

─ C’est parce qu’il est à la pouponnière. Elle est juste de biais à notre chambre : dit la jeune fille du deuxième lit.

─ Tu as eu un bébé cette nuit?

─ En fait, j’ai perdu mon bébé cette nuit.

─ Deux fausse-couches?

 Un homme et une femme entrèrent dans la chambre et se dirigèrent vers le deuxième lit.

─ À 15 ans, sans conjoint et sans diplôme, cette grossesse était une catastrophe. Une césarienne, c’est pénible, mais tu verras, tu vas oublier tout ça très vite.

─ Oui maman…

Visiblement soulagés, les parents quittèrent rapidement la chambre.

Dans un silence de mort où l’on aurait pu entendre voler une mouche, une petite voix en sanglot dit dans un souffle :

─ Je le voulais, cet enfant… je sais que ce n’est pas raisonnable, mais la maternité est tout sauf raisonnable…

Marie lui tendit la main et, comme elle savait que personne ne viendrait jamais consoler cette enfant, se leva et la prit dans ses bras pour la bercer et partager sa douleur.

Après une seconde fausse-couche, on référa le couple à un centre pour soigner l’infertilité. Marie, en éternelle optimiste, croyait encore à sa chance. Autour d’elle, toutes ses amies devinrent enceintes. Chacune accoucha, plusieurs continuèrent à boire et à fumer, deux d’entre elles accouchèrent à la maison sans complications. Après plusieurs mois de traitement, elle redevint enceinte et du s’aliter plusieurs mois comme elle l’avait déjà fait lors de ses autres grossesses, personne ne vint la visiter, toutes étaient trop occupées avec leur marmaille. Même son conjoint ne manqua aucune partie de golf.

Le plus pénible fut d’assister à une fête d’échange de cadeaux avant la naissance d’un enfant, deux jours après avoir perdu son troisième fœtus. Toutes les femmes discutaient joyeusement, une se plaignait d’un mal de cœur récurrent depuis une semaine, une autre d’avoir dû ralentir son jogging, une autre d’avoir des caprices alimentaires. On ne se privait pas de fumer, un verre de vin de temps en temps était tout à fait acceptable. On parlait de la mode pour les femmes enceintes… Pour oublier ses souffrances, il faut que le chagrin soit accompagné et que l’amitié nous console.

Suite à sa quatrième fausse-couche, le spécialiste l’informa que le couple n’était peut-être pas compatible. Après dix ans de mariage, faute d’un diagnostic scientifique, elle dut convenir qu’elle avait choisi le mauvais coq. Son conjoint ne voulant pas adopter, elle décida de tenter sa chance une dernière fois.

Mal lui en prit, car elle perdit aussi le suivant. Son oncle, médecin, lui confia alors :

─ Ce que la nature ne t’accorde pas, prends garde de lui forcer la main, car si tu réussis à avoir un enfant, il pourrait bien être handicapé physiquement ou intellectuellement.

Après tous ces curetages et ces traitements, le corps de Marie ne pouvait plus supporter un nouveau nettoyage. Pendant deux ans, tous les mois, une partie des déchets de sa dernière fausse-couche passèrent, noirs, en caillots.

Après toute cette indifférence, elle se rendit compte que la douleur physique était endurable, mais que tous ces deuils avaient silencieusement grignoté son seuil de tolérance psychologique et qu’elle avait besoin de parler de ses peines afin de pouvoir se consoler. Avec l’aide d’une psychologue, elle réussit à guérir la blessure et la peine et faire le deuil de tous ses rêves et un coach de vie fit disparaitre à tout jamais la cicatrice imprimée au fond de son cœur.  

Plus de douze ans après son mariage, elle eut enfin des règles normales et dut admettre qu’elle n’aurait jamais d’enfant et ne serait jamais grand-mère.

Josée sortie son cellulaire de son sac à main et les yeux plein d’eau signala le numéro de sa sœur.

─ Tu es chez toi ce soir? J’apporte le souper, chinois ou italien? D’accord! À ce soir, je t’aime.

Les deux amies se regardèrent sans un mot et Josée dit :

─ Pardon pour mon indifférence, tu devrais raconter cette histoire pour faire comprendre aux gens que derrière chaque fausse-couche, il y a un cœur de femme qui souffre et qui a besoin d’être consolé.

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