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Sous un ciel dramatique, zébré d’éclairs, des trombes d’eau balaient le parebrise de la camionnette malmenée par des bourrasques de vent saccadées.

« Quelle idée stupide de planifier une visite surprise par ce temps. La bonne nouvelle, c’est que personne à Cantley ne s’attend à recevoir quelqu’un en pleine tempête. »

Au bout d’un chemin de terre sinueux, le F-150 bifurque soudainement dans une petite allée bordée de vieux chênes et d’énormes érables sans feuilles dont les cimes nues tels des doigts de la nuit s’agitent dans tous les sens. Enfin, malgré la noirceur et les feuilles qui volent en tourbillons sombres, on distingue une toute petite lumière et la silhouette sombre d’une chaumière.

Le camion s’immobilise devant le porche, et le conducteur attend impatiemment une accalmie avant d’affronter le déluge.

Constatant que la tourmente ne se calme pas, il sort rapidement et affronte le vent et la pluie qui l’attrapent de plein fouet et le projette presque à terre.

Il se met à courir en proie à une panique soudaine, sortie de nulle part. Il se précipite sous le porche et entre dans le tambour. Il s’ébroue vigoureusement, et constate avec soulagement que la fureur du vent se brise sur les murs.

Étrangement, juste au moment où il va poser la main sur la poignée de cuivre, il éprouve un malaise qui interrompt son mouvement. Accompagné d’un rire ironique et jaune, il ajoute pour lui-même :

« Quel idiot tu fais, tu es venu des dizaines de fois chez Ariane, tu es un policier qui n’a jamais eu peur des orages… »

Pourtant en tournant la poignée, son sixième sens l’avertit que quelque chose ou quelqu’un est tapie dans l’ombre.

─Ariane? C’est moi, j’ai une surprise pour toi? Ariane ? Tu es là?

Aucune réponse.

« Surprenant qu’elle soit sortie par ce temps. »

Couvrant le tic-tac de l’horloge grand-père du salon, il distingue un grattement convulsif provenant de la porte du boudoir.

─ Rocco? C’est toi mon chien?

Un grognement sourd lui répond.

─ J’arrive mon gros. Ariane t’a enfermé? C’est inhabituel…

Il traverse le salon… et s’arrête stupéfait. Le mur à gauche du foyer n’est plus là! À sa place une ouverture sombre, telle une caverne, occupe tout le coin de la pièce.

Du boudoir, monte une lamentation canine semblable à des pleurs d’enfants.

─ Couché Rocco…

« C’est quoi ce truc? »

Il ferme les yeux, espérant qu’en les ouvrants, la chose ou le trou béant aura disparu. Il secoue vigoureusement la tête de gauche à droite et ouvre un œil à la fois.

« C’est impossible… » Une odeur humide et rouge s’infiltre par tous les pores de sa peau, tandis que ses genoux deviennent mous comme de la guimauve. Une peur immuable le prend au ventre et tout son corps est secoué par des tremblements incontrôlables.

Il s’enfuit s’en demander son reste. En sortant, il remarque que le vent n’est plus qu’un murmure et que les trombes d’eau se sont métamorphosées en crachin. Il tourne la tête vers l’immense chêne à droite de l’allée pour découvrir avec horreur qu’une quantité astronomique de corbeaux l’observent de leur perchoir. Le silence de tous ces charognards qui l’épient avec une délectation évidente colore d’un voile rouge l’horreur qui s’infiltre, se répand, aussi inéluctable que la nuit insondable qui l’entoure. Comme un pantin désarticulé, il s’engouffre dans le véhicule et démarre en trombe.

Il conduit mécaniquement, en se répétant à voix haute pour se convaincre :

« C’est les antibiotiques, la grippe, tout va rentrer dans l’ordre… », mais rien n’y fait, au contraire, telle une rengaine, les souvenirs affluent et lui rappellent qu’Ariane a toujours refusé de le voir pour l’Halloween prétextant qu’elle célébrait Samain seule. Lorsqu’il a demandé ce qu’elle faisait cette nuit-là, elle a répondu laconiquement : « je chasse. »

« Dieu du ciel… elle chasse quoi? Et les corbeaux en si grand nombre sur le chêne? »

Arrivé en ville, il se stationne derrière le Tim Horton, se calme et décide de prendre une collation.

Attablé avec les habitués, la panique diminue peu à peu, et il retrouve son flegme. Il ouvre sa tablette et tape le mot Samain. Tout ce qu’il lit ne fait qu’accentuer son trouble. Par définition, cette fête est propice aux événements magiques et mythiques. Oui, mais il ne croit pas à toutes ces fabulations. Il n’est pas question qu’il retourne sur les lieux. Demain, tout reprendra sa place.

Après avoir bu un rhum, il sombre dans un sommeil profond. Et, soudain, elle est là flottante au-dessus du lit.

─ Ariane?

─ Ne crains rien. Tu n’aurais jamais dû venir chez moi sans prévenir. Je t’avais averti que je ne voulais voir personne cette nuit-là.

─ Où étais-tu?

─ Je chassais.

─ Jure-moi que tu n’as rien fait d’illégal ou d’immoral!

Ariane sourit tristement, et répond : « Je ne chasse pas l’Annis. »

─ Les corbeaux?

─ Andrastas est une déesse icénienne aux multiples métamorphoses et assoiffée de sang. Tu ne comprendrais pas, alors oublies ce que tu as vu cette nuit, ou ne reviens plus.

La voyageuse nocturne, telle une apparition fantomatique, se dissipe en un voile vaporeux.

Au matin, Louis s’éveille et doit s’avouer que même après de nombreuses années, les gens conservent un coin d’ombre, une facette inconnue.

Chers lecteurs, la conclusion vous appartient… à vous de croire ou non, ou de décider si malgré ses secrets, vous reverriez Ariane.

J’espère que ce conte d’Halloween vous a plu?

4 Commentaire

  • Josée Dombrowski
    octobre 30, 2020 at 2:54

    Bravo Blanche! C’est très bien écrit. C’est palpitant et intrigant…!

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    • Blanche Claire Gaudreault
      octobre 30, 2020 at 10:37

      Merci. Je voulais apporter une touche d’exotisme.

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  • Francine
    novembre 1, 2020 at 3:42

    C’est même haletant et on aimerait la suite!

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    • Blanche Claire Gaudreault
      novembre 1, 2020 at 10:12

      Un soir de pleine lune?

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