Quelque chose ne va pas! Aucun bruit, aucune lumière intérieure. En entrant dans la cuisine, il y a cette odeur rance qui l’accueille et, en ouvrant la lumière, il voit le chat sur la table qui lèche une assiette! Un gyrophare s’allume dans sa tête et il court vers la chambre pour se rassurer, tout en sachant que quelque chose de grave s’est produit.
─ Qu’est-ce qui se passe? On dirait que plus personne ne vit ici…
─ Il n’y a personne nulle part! J’appelle Sarah… Sarah, c’est Tom, je suis à la maison…
Mon Dieu… À quel hôpital? Qui est avec papa? J’y vais et Stan va s’occuper des chevaux et de tout le matériel de course.
Il coupe la communication et se tourne vers son compagnon les yeux remplis de larmes.
─ C’est Paul?
─ Non maman…
─ Kate! Je n’arrive pas à y croire, une force de la nature, elle est venue en début de semaine au magasin, elle était pétante d’énergie! C’est grave?
─ Majeure… Je pars à l’hôpital, tu t’occupes des chevaux et du matériel? Tu peux demander de l’aide à Jimmy…
─ Va, je m’occupe de tout. Courage…
L’homme massif et musclé reste immobile au milieu de la cuisine, visiblement accablé par la nouvelle. Il s’assoit sur une chaise en chassant le chat et se prend la tête à deux mains en soupirant longuement avant de saisir son cellulaire et contacter sa femme.
─ Je suis chez les Booth… tu es au courant?
─ Je suis soufflé… Ne m’attends pas, je vais rentrer tard.
En tournant le coin du corridor, il aperçoit son père assis sur une chaise droite en métal, les yeux perdus dans son monde, courbé et vieilli, l’ombre de lui-même. Il s’arrête, prend une grande respiration et marche d’un pas assuré vers cet homme défait qui a toujours été son mentor et son roc.
─ Papa, je suis là…
─ Tom! Je t’attendais… elle va s’en sortir… mais elle ne sera jamais la même…
─ C’est si grave?
─ Dévastateur! C’est grâce à Sarah si l’ambulance est arrivée si vite! Elle était en visite et elle a paniqué en voyant que Kate cherchait ses mots. Elle a fait le 911 immédiatement et ils sont arrivés juste avant l’AVC.
─ Je peux la voir?
─ Non pas encore.
─ Tu veux de l’eau? Un café?
─ Non, mais tu sais, j’aimerais bien qu’on s’assoit à une table de la cafétéria. Il n’y aura rien de nouveau avant plusieurs heures.
Les deux hommes quittent l’étage et, avant de prendre l’ascenseur, Paul informe l’infirmière qu’il sera à la cafétéria si le docteur veut lui parler.
Assis à une table du fond, ils regardent leur tasse de café et le père tout chamboulé, rouge et un peu tremblant prend une gorgée avant de se lancer.
─ Ta mère ne pourra plus s’occuper du ranch et des compétitions comme avant, elle va avoir besoin d’une longue période de réadaptation.
─ Tu connais maman, une vraie battante, elle va se remettre plus vite et surprendre tout le monde.
─ C’est justement ce que je veux éviter. Je vais m’assurer qu’on met en place les conditions optimum pour qu’elle revienne à la normale. Il ne s’agit pas d’une course ou d’une compétition. Ta mère, c’est toute ma vie, mon phare, ma raison de vivre, je vais tout faire pour son rétablissement, même vendre le ranch s’il le faut.
─ Vendre!
─ Oui! Je suis sérieux. Tu vas convoquer tes frères et ta sœur à un souper à la maison, dimanche soir et je vais vous expliquer la situation et comment je compte traverser cette période difficile. Demande à Sarah de préparer un souper pour tout le monde.
─ Papa, tu es décidé?
─ Oui. Quand j’ai rencontré ta mère, elle voyait un autre homme, un professionnel, un avocat important de Calgary. Il était beau, intelligent et en plus, c’était un cavalier expérimenté. J’ai dû me battre pour avoir seulement une chance. Encore aujourd’hui, je me demande parfois pourquoi j’ai remporté la partie. Ce que j’ai fait au début de notre relation, je suis prêt à le refaire. Je vais me battre et vous devrez m’aider. Kate est l’âme, l’administrateur, le bailleur de fonds et celle qui nous a permis à tous de réaliser nos rêves et nos ambitions. Il est plus que temps que vous lui retourniez l’ascenseur.
─ C’est vrai, vous nous avez toujours appuyés financièrement et moralement.
─ En ce qui concerne les finances, c’est ta mère qu’il faut remercier.
─ Tu veux dire…
─ Quand j’ai épousé ta mère, elle était déjà propriétaire de toutes les terres que l’on possède. En plus, cinq ans après, elle a hérité d’une riche tante en Colombie-Britannique. Tout est à elle.
─ Mais vous nous avez laissé croire que c’était 50 /50.
─ C’est Kate qui voulait qu’on soit perçus comme des associés par le monde extérieur et je lui en ai toujours été reconnaissant. Je déteste m’occuper des finances, je suis un gars d’action et nous avons toujours été sur la même longueur d’onde.
─ Il y a d’autres choses que vous nous avez cachées?
─ Caché est un bien gros mot! Il suffisait de nous regarder fonctionner de plus près pour comprendre. Ton frère Michael l’a compris depuis longtemps.
─ J’ai toujours pensé que sa paresse et son égoïsme étaient un trait de caractère.
─ Oui et non, il sait que ta mère a le contrôle des cordons de la bourse et que le magot est assez important pour couvrir ses frais de jeux et ses goûts de luxe.
─ Je tombe des nues! Maman m’a toujours semblé être une femme de rodéo et une mère dévouée.
─ Ta mère est et restera toujours une des plus belles femmes que j’ai connues. Elle a été pendant plus de cinq ans la championne incontestée des courses de barils. Sa passion pour les chevaux et le monde du rodéo ne l’a pas empêchée d’être une femme d’affaires avisée et redoutable, elle sait s’entourer des meilleurs et, à ce jour, on la consulte fréquemment dans le monde financier avant de prendre des décisions importantes. Tu verras sa chambre va être tapissée de bouquets de fleurs de la part de membres influents de la communauté financière, politique et sociale. Mais… vous avez toujours passé avant tout. Ses enfants sont sa priorité, et je dirais même son talon d’Achille.
À ce moment, un homme en sarrau blanc, s’avance vers leur table et Paul l’observe avec attention pour déchiffrer s’il est porteur de mauvaises nouvelles.
─ Tu t’occupes du souper?
─ Oui, sans faute.
─ Paul, je tenais à t’annoncer en personne que Kate est définitivement hors de danger. Elle va vivre, mais j’aimerais pouvoir te parler dans mon bureau pour m’assurer que tu as toute l’information pour comprendre les enjeux. Elle a la meilleure équipe médicale, mais nous voulons que tu sois informé des développements en temps réel pour que la communication soit efficace.
─ Je vous suis. Informe la famille de la bonne nouvelle.
─ Oublie-nous, on va assurer. Dis à maman que je l’aime!
─ Aie confiance, on va la sortir de là!
Elle approche la camionnette le plus près possible de la cuisine. Elle descend du véhicule et se dirige vers la grange.
─ Jimmy? Jimmy j’ai besoin de ton aide pour débarquer les contenants et agrandir la table.
─ J’arrive juste le temps de me laver les mains.
Elle retourne vers la maison et commence à transporter les plus petites boîtes. En entrant dans la cuisine, elle pose le tout sur le comptoir et jette un regard circulaire sur la pièce. Il y a tant de souvenirs qui se sont déroulés entre ces quatre murs, qu’elle reste figée comme rattrapée par les images du passé qui surgissent pêle-mêle comme une marée envahissante. Le présent disparaît, des images, des cris de joie et de peines, des moments marquants de la vie familiale dansent dans sa tête et son cœur bat la chamade…
─ Je mets les paquets sur la table?
─ Non près du frigo, on doit d’abord agrandir la table. Tu sais où sont les rallonges?
─ Oui, j’y vais.
─ Merci, Jimmy, tu l’as connue jeune… comment était-elle?
─ Une force de la nature… quand elle entrait dans une pièce, c’était comme si tout d’un coup, l’espace temps s’arrêtait, et au fur et à mesure qu’elle nous parlait toutes les personnes présentes se sentaient uniques. Kate vous faisait sentir importants, irremplaçables, comme si soudainement vous étiez le centre de l’univers. Elle avait une façon spéciale de vous regarder… Même si j’ai toujours été un simple employé de la famille, elle m’a toujours traité comme un membre à part entière de la famille. À tous les Noël, j’ai reçu un cadeau unique et personnalisé. Mon frigo est régulièrement rempli de petits plats et elle a de tout temps exigé que les enfants et les petits-enfants soient respectueux à mon égard, même Michael. Pour un vieux garçon comme moi, cette femme, c’est ma mère, ma famille. Je donnerais ma vie pour elle.
─ Oui, même si c’est ma mère, je lui dois mon restaurant. À l’époque, une femme chef propriétaire d’un restaurant, c’était considérée comme une lubie. Après mes études à l’école d’hôtellerie, elle m’a assise sur cette chaise pour m’informer que je partais pour la Colombie-Britannique pour deux ans dans l’un des meilleurs restaurants au monde pour apprendre mon métier avec un chef exceptionnel.
Deux ans de rêve, où j’ai tout appris. À mon retour, elle m’a demandé si j’étais prête à ouvrir mon propre restaurant. On a visité tout ce qui pouvait convenir en ville, et avec Antonio, on a rédigé un plan d’affaires. Elle n’a jamais été condescendante, elle m’a passé l’argent avec des exigences réalistes et surtout un regard rempli de fierté. La suite, tu la connais, le resto est un succès, j’ai rencontré mon mari là-bas et j’ai trois enfants en santé.
─ Allons au fourneau, si on veut que le souper soit prêt à temps.
─ Comme disait Kate : Moins de discours plus d’action.
Jimmy rapporte les trois rallonges, tandis que Sarah organise le repas d’une main experte.
Au dehors, on entend les portières d’une voiture claquer et une jeune fille brune en jean entre en coup de vent.
─ Désolée du retard, mais j’avais une heure de tombée à respecter.
Connaissant les aires, elle se dirige vers le gros buffet.
─ La nappe en damassé ou celle en lin?
─ La nappe blanche, c’est la favorite de ta grand-mère. Le service en porcelaine à fleurs de lys, la coutellerie en argent et les verres en cristal à motif d’astérisques.
─ À vos ordres, commandant!
Les deux femmes complices rient, pendant que Jimmy entre les dernières caisses.
─ On ne manquera pas de nourriture.
─ Je veux que tout soit parfait, une sorte de souper de Babette. La discussion risque d’être émotive. Un bon repas et du vin de qualité peuvent adoucir les angles et rendre les convives plus conciliants, c’est ma contribution. Papa doit sentir qu’on l’appuie et il s’attend à ce que sa seule fille, chef de surcroît, reçoive la famille comme ils l’ont toujours reçue par le passé.
─ Ton père préfère nous laisser en famille, mais je compte sur toi pour faire le service, ça te va?
─ Complètement, nous serons trois pour que tu puisses participer à la conversation, cela sera plus un plaisir qu’une corvée. Bonnie et Gail sont plus mes meilleures amies que juste des cousines.
Une demi-heure plus tard, la cuisine embaume, la table est mise et les trois cousines discutent joyeusement en aidant leur tante à fignoler les dernières préparations.
Paul ouvre la porte menant directement du garage à la maison et aperçoit Tom dans le salon qui discute avec Stan et son frère.
─ Tom, tu peux aller chercher Jimmy.
Je veux le voir dans mon bureau.
─ Pas de problème.
─ Entre et ferme la porte.
─ Un souci?
─ Te concernant, aucun. Mais il va se dire des choses autour de la table et je veux t’assurer que quoi qu’on décide ce soir, même de vendre le ranch, tu ne te retrouveras pas à la rue et sans emploi. Tu es de la famille, Jimmy, toi et moi, on a grandi ensemble comme des frères.
─ Je sais, Paul, et Kate a toujours été le centre de mon univers. J’ai des économies, tu sais, Kate m’a bien conseillé.
─ Tu préfères partir?
─ Pas du tout, mais je ne veux pas qu’on me garde par pitié.
─ Pitié! Si un seul éleveur de chevaux apprend que tu nous quittes, les offres d’emploi vont voler de toutes parts. Tu es l’expert en comportement chevalin.
─ Merci!
─ Une autre chose, je veux que tu retournes à la grange, que tu barres tous les boxes et la porte principale avec un nouveau code que toi seul connaît.
Jimmy le regarde surpris.
─ Michael… tu comprends.
─ Mieux que tu le penses, j’allais t’en parler. Il vient de m’appeler pour que je prépare Ginger et tout son équipement. Il va la garder pour vous aider pendant la convalescence de Kate. Il prétend que le cheval lui appartient de toute manière.
Paul se lève tout rouge.
─ Je l’appréhendais… Désormais, en ce qui concerne l’écurie, rien ne change sans mon consentement. Ginger m’appartient et Michael ne possède même pas une selle ici! C’est clair?
─ Très clair.
Il quitte le bureau en refermant la porte doucement, et Paul respire lentement pour se calmer. Il se lève, ouvre la carafe de rhum et se sert un double sur glace, qu’il boit les yeux fermés. Il avale d’un coup sec le reste du verre et monte prendre une douche et se changer.
En bas, tout est prêt pour le souper. Les trois petites-filles qui se côtoient et compétitionnent dans les courses de barils se taquinent avec entrain, tandis que les adultes discutent calmement. On sent dans l’air une certaine tension, de l’anxiété face à l’inconnu de la situation familiale, car c’est Kate qui tranchait et trouvait toujours une solution à tous les problèmes. Aujourd’hui, c’est elle qui doit être aidée et la famille se sent démunie. Heureusement, Paul est là et ils sont tous prêts à l’appuyer.
Paul entre au salon.
─ Tout le monde est arrivé?
─ Il manque Michael…
─ Quelle surprise! On commence… on passe à table. Sarah, tu peux commencer le service.
Immobile au bout de la table, il prend une gorgée d’eau.
─ Stan, je t’ai invité pour discuter des courses de chariots. Kate et moi, on passe la main et à partir de ce soir, c’est Tom qui sera responsable pour notre famille.
─ Papa, ce n’est pas sérieux, j’ai une grange pour six chevaux déjà pleine, le garage et les compétitions de taureaux!
─ Stan?
─ Je peux entreposer l’équipement et la roulotte en ville, voir aux commandites avec mes fils, c’est une affaire de famille. De plus, je comprends ton dilemme car Kate s’occupait de toute la partie administrative, des commandites, des chevaux, de la roulotte et j’en passe. Tom a l’espace, mais pas les infrastructures, financer une grange pour huit chevaux supplémentaires ainsi que l’entretien de la piste d’entraînement représente beaucoup d’argent.
─ Écoute… si Tom et Pat désirent continuer… je fournis un entrepôt en ville, tout le renouvellement d’équipement… Pat?
─ Je gagne bien ma vie et j’adore les compétitions, mais ma contribution sera plus physique que monétaire.
─ Tom?
─ Je n’ai pas les reins assez solides pour financer les infrastructures nécessaires sur mon petit ranch…
À ce moment, Gail, un bol de soupe dans chaque main, s’immobilise et se tourne vers la cuisine…
─ Les filles, venez me rejoindre!
Surpris, les convives assis regardent les trois petites-filles se regrouper au bout de la table, face à leur grand-père.
─ Grand-père, Stan, mon oncle et papa! Ça fait longtemps qu’on fait de la course de barils, on est respectées par nos paires… Jimmy?
─ C’est vrai, elles sont des compétitrices de calibre supérieure, et Gail sera d’ici deux ans maximum une championne comme Kate.
─ La course de chariots, on a grandi avec. On est comme Obélix, on est tombées dedans à la naissance. Bonnie, Shania et moi, on rêve de faire partie de l’équipe de la famille. En plus d’être des cavalières expérimentées, de tout connaître de ce sport, je termine mes études de vétérinaire, Jimmy est le meilleur entraîneur en ville, Bonnie a un bac en administration et Shania travaille au Calgary Herald, un des plus gros commanditaires du Stampede. Alors à nous trois, on peut entraîner les chevaux de grand-père, avec l’aide de Jimmy. On peut payer la nourriture et l’entretien de la roulotte. Bonnie tiendra les comptes et Shania va nous trouvez des commanditaires.
Les trois petites-filles regardent leurs parents avec défi sous le regard amusé de Stan et de Jimmy.
─ Gail, la course de chariots, c’est dangereux!
─ Tu peux bien parler, tu montes des taureaux!
Toute la table rit de bon cœur.
─ Si je comprends bien, mes petites-filles assurent la relève!
─ Oui!
─ Je vous dois des excuses, les filles, je n’ai pensé qu’à mes fils… alors que vous pouvez faire le travail avec brio… Kate serait fière de vous…
À ce moment, un grand gaillard tiré à quatre épingles fait son entrée.
─ Jimmy, viens me débarrer la grange immédiatement!
─ Bonjour Michael.
─ Bonjour papa. Jimmy, ça presse.
─ Jimmy travaille pour moi.
Un silence de mort s’abat sur la pièce. Sarah sort de la cuisine, tandis que Jimmy défie le nouveau venu du regard.
─ Je n’ai pas beaucoup de temps, papa. Je prends Ginger pour vous aider.
─ Tu t’assois immédiatement, tu prends le temps, et Ginger ne va nulle part.
─ C’est mon cheval!
─ Kate t’a donné le droit de le monter… c’est tout, Ginger m’appartient, j’ai tous les documents légaux qui l’attestent. Assieds-toi!
Ennuyé et en colère, le regard fuyant, il prend son cellulaire et appuie sur une touche. On entend la sonnerie d’un téléphone sur le comptoir de la cuisine.
─ Ta mère est à l’hôpital et son cellulaire est dans la cuisine. Comment oses-tu seulement penser à la contacter en ce moment.
─ Tu ne m’as jamais compris!
─ Non… il n’y a rien à comprendre. Ne t’avise surtout pas de te rendre à l’hôpital, tout le personnel est au courant et tu ne pourras pas l’approcher.
─ Tom, dis quelque chose, je suis son fils et ton frère!
─ Pour être mon frère, tu es mon frère! Ça fait bien vingt ans que j’ai envie de te casser la gueule, voilà ma chance.
─ Pat? Ils sont devenus fous!
─ Ils ont plutôt raison.
─ Tu t’assois et tu collabores ou tu prends la porte.
─ Une vraie famille de fous! Jimmy, ouvre-moi la porte de la grange pour que je puisse au moins prendre mes affaires.
─ Tes affaires seront mis au bord du chemin, demain matin. À partir de ce soir, si tu mets les pieds sur mes terres, Jimmy et le personnel auront ordre de te mettre dehors. C’est clair?
─ Complètement marteau! Maman ne te le pardonnera pas!
─ J’ai sa bénédiction. Cela faisait partie de notre entente post mortem.
Offusqué, l’homme rouge de colère quitte les lieux et on entend crisser les pneus sur le chemin de terre.
─ C’est quoi cette histoire post-mortem?
─ Kate m’a donné carte blanche en cas de mort ou d’incapacité en ce qui concerne Michael. C’est incroyable, je comptais lui demander de m’aider à administrer le ranch, même après tous ses coups fourrés et ses magouilles. Incroyable!
─ Grand-père, je termine ma thèse de maîtrise cette année et je suis disponible pour t’assister…
─ Bonnie… je vais faire mieux… Je vends Ginger… tu vas prendre part à la transaction. Avec les profits, je finance les infrastructures pour Tom. Bonnie, tu me prépares un plan d’affaires pour le ranch.
─ Je peux parler?
─ Oui, Sandrine.
─ Je m’occupe déjà de toute la comptabilité du garage, je peux ajouter toute celle concernant les courses de chariots et te laisser Bonnie à temps plein pour le ranch.
─ Je suis d’accord. Tom?
─ Wow! Merci pour le ranch et Sandrine est super efficace!
─ Stan?
─ Ça me plaît que la relève soit féminine!
─ En résumé, on vend Ginger, on s’installe chez Tom qui devient responsable des compétitions et mes trois petites-filles assurent la relève avec Stan et ses fils.
Tous acquiescent.
─ Oui, Samantha?
─ J’ai parlé à mon superviseur ce matin. Dès que Kate pourra revenir à la maison, je prendrai un congé sans solde et je serai à la maison de midi à vingt-deux heures tous les jours. Avec Blanca et Alphonso, elle recevra tous les soins nécessaires.
─ Je préfère que ce soit toi, mais je vais payer pour tes services. Ce n’est pas négociable.
─ Parfait.
─ Bonnie, j’aimerais te voir demain matin… vers 8 heures 30 pour discuter de la gestion du ranch.
─ Je vais faire mieux, je reste à coucher pour ranger avec tante Sarah et Shania et demain je serai sur place pour amorcer notre collaboration.
─ J’aime ton approche. Sarah, est-ce qu’il y a du dessert?
─ Un immense St-Honoré. Je vais le chercher à la cuisine. Je le servirai à la table.
─ Papa… Je veux que tu saches que je m’occupe de toute la bouffe sur le ranch. Je superviserai Blanca, et Alfonso s’occupera du ravitaillement. Oublie l’entretien ménager et la bouffe, je m’en occupe.
─ Merci ma grande… C’est la porte?
─ J’ai sonné sans succès! Bonjour tout le monde.
─ Jordi?
─ Quand Sarah m’a informé ce midi que vous alliez avoir une réunion familiale pour aider Kate, je devais venir… Je dois tout à Kate, Paul demande-moi n’importe quoi et je vais le faire.
─ Je ne comprends pas très bien pourquoi tu crois devoir quelque chose à ma femme… Elle ne m’a jamais mentionné t’avoir seulement aidé.
─ Elle l’a pourtant fait…
─ Pourquoi?
─ Pour avoir sauvé John de la noyade. Nous étions jeunes, je marchais en haut de la rivière quand j’ai vu John faire le clown en simulant sauter dans la rivière pour faire paniquer Kate. Comme on connaît tous John, j’ai tout de suite couru vers eux en me déshabillant. Il est tombé au moment où je les rejoignais, et j’ai plongé car l’idiot ne savait pas nager. Je l’ai empoigné et elle nous a lancé un lasso. Elle a juré qu’elle ne l’oublierait jamais. Vingt-cinq ans plus tard, quand j’étais dans le caniveau, au plus bas, elle m’a ramassé, mis dans un taxi et expédié au Centre de désintoxication de Calgary. Elle a tout payé. À ma sortie, un emploi chez Wayne avait été planifié. Il m’a accompagné et c’est grâce à lui si j’ai réussi à m’en sortir. Tout cela, sans ne jamais accepter aucun remboursement. À chaque fois, que j’ai voulu payer ma dette, elle m’a dit qu’on était quittes.
─ Je ne sais pas quoi te dire, j’ignorais tout de ce sauvetage…
─ Prends mon nom, mon numéro de téléphone, et chaque fois que tu auras besoin d’aide, appelle-moi, je viendrai te dépanner, toi ou n’importe qui dans cette pièce. Considérez-moi comme votre plan B en toutes circonstances.
─ Je prends tes coordonnées, et j’accepte ton aide avec enthousiasme. Tu restes?
─ Non, je voulais seulement apporter mon aide et je vais vous laisser en famille. Sarah, si tu le permets je passerai au restaurant prendre des nouvelles.
─ Tu es toujours le bienvenu!
Jordi quitte le salon et Stan se lève.
─ Je vais en profiter pour partir, mais tu peux compter sur moi. Tom, je tiendrai mes engagements.
─ Je n’ai aucune crainte, ta parole me suffit.
─ Tu sais, Paul, même si Kate n’était pas tombée malade, il était temps de passer la main. On a hésité trop longtemps, mes deux fils pensent sans doute comme tes petites-filles et je ne me suis pas aperçu que je vieillissais. La transition se fera en douceur et la tradition continuera. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à m’appeler. Sarah, le souper était merveilleux, cela fait trop longtemps que je n’ai pas été au restaurant et le tien est mon préféré.
─ Merci Stan.
La maison se vide et bientôt il ne reste plus que Sarah, Shania et Bonnie qui terminent de ranger. Paul, assis au salon, regarde le feu de bois mourir dans l’âtre de la cheminée de pierre.
─ Tout est rangé. Sarah n’a plus besoin de moi. Ça va aller?
─ Merci Jimmy. Cela s’est mieux passé que je l’anticipais, mais j’ai appris une leçon ce soir. Je suis un vieux macho.
─ Vieux? Pas encore… Macho oui et non, si tu le reconnais c’est qu’il y a de l’espoir! Kate n’aurait jamais épousé un macho fini!
─ Sors d’ici, sacripant!
─ Je mets la table pour le déjeuner et je monte…
─ Je monte aussi… Sarah… merci… c’était délicieux… Je t’aime et je suis fière de toi. Ta mère a raison, je ne le dis pas assez.
1 Commentaire
Lysette Brochu
mai 13, 2021 at 7:47J’ai le privilège de voir cette toile accrochée au mur de mon foyer. Je l’adore!