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Contes / Impro

L’Amitié au temps de la Covid

Quand l’Amour rencontre l’Amitié

Assis sur un vieux banc tout vermoulu, l’Amour drapé dans sa cape en cachemire doublée de duvet de séraphins remonte son écharpe scintillante sur son nez. Magnifique, sous son large feutre, on ne voit plus que son regard doré, intense.

L’Amitié, à deux mètres, s’appuie sur l’accoudoir métallique qui verdit de plaisir sous la caresse inattendue. Chaussée d’espadrilles de sept lieux, en coton ouaté, elle arbore un masque en croissant de lune, égayé par un regard étoilé.

En temps de désarroi, l’Amour qui ne doute jamais de sa supériorité a enfin accepté de rencontrer l’Amitié.

─ Je me suis toujours demandé pourquoi vous existiez.

─ Pour amener un sourire là où vous aviez laissé des larmes.

Absence de câlin

Sur un ton hautain, il ajoute avec lenteur : dans tout l’univers, l’amour a été mis au rancart sans que les humains est la chance de se dire au revoir. Je n’ai pas pu leur offrir une pluie de baisers avec battements de cœur. Du jour au lendemain, il n’y avait plus de câlin pour tromper la solitude et même vivre d’amour et d’eau fraîche.

─ Est-ce que je peux vous parler à cœur ouvert ?

─ Oui, même l’Amour rempli de certitude a besoin de se faire consoler.

─ Même si les jeunes et les riches surfent allégrement sur les nombreuses plateformes, la sécurité ne tient plus qu’à un fil. À bien des égards, la toile numérique est instable et les funambules de plus de 65 ans risquent des chutes fatales.

─Moi qui ne connais pas le doute, je dois avouer que même avec mes armées de cupidons et toutes ces cohortes de jeunes avec le diable au corps, sans rencontre, la courbe de l’abstinence monte en flèche et m’empêche d’apporter des améliorations rapides.

Bien que je donne des ailes aux amoureux et qu’ils désirent suivre leurs belles jusqu’au bout du monde, sans avion et sans la possibilité d’accoster dans les grands ports de la terre, les voyages au long court sont devenus très risqués et presque impossibles.

─ Je suis beaucoup moins intense que vous… mais le lien social, même à distance, repose sur l’amitié, pleine de constance et de confiance. L’amitié est essentielle à la paix de l’âme, elle assure notre sécurité contre les aléas de la vie.  

L’Amour semble perplexe, lui qui est toujours si confiant. La nature, consciente de la gravité de l’événement, est silencieuse. Les écureuils qui normalement courent en rond se sont immobilisés. Le vent du nord couché sur un tapis doré retient son souffle en cette occasion solennelle. Les bernaches ne cancanent plus, les biches s’approchent timidement, tandis que les ratons laveurs, curieux, sortent leur tête masquée des fourrés.

L’Amitié songeuse ajoute sans grande conviction : il reste les bulles. Elles sont toutefois fragiles.

─ Elles laissent les cœurs barbouillés, insatisfaits.

Dans le regard bleu nuit de l’Amitié, une lueur d’espoir apparaît.

Elle reprend avec confiance : le monde ne peut se passer de l’Amour et de l’Amitié. Si vous êtes surtout un plaisir du corps, je suis un plaisir de l’intelligence.

 ─ Vraiment… répond l’Amour septique.

─ Pendant cette période sombre, unissons nos forces, soyons à l’égal de la pluie, généreuse. Comme il s’agit d’une urgence et, que nous savons tous les deux que le temps est la seule chose digne d’être comptée. Il faut partir sans tarder.

 Ne séparons pas le corps et l’esprit puisque la nature nous a offert les deux. Parcourons le monde dans un attelage tiré par deux chevaux, la volonté et son compagnon inséparable le courage guidé par le cocher idéal, la raison qui manie avec dextérité un fouet nommé effort.

 L’Amour, la tête appuyée sur son poing, réfléchit et répond avec superbe : j’y pense et j’en suis.

L’Amitié émue reste stoïque, ce n’est pas le moment de se laisser emporter par les émotions.

 À cette nouvelle, les grands chênes s’ébrouent vigoureusement, et toutes les feuilles cuivrées, dans un tourbillon, enveloppent le banc. Le vent du nord se glisse doucement sous l’armature métallique et l’équipage invincible s’envole allégrement.

Voilà comment, au temps de la Covid, l’Amour et l’Amitié s’unirent pour sauver l’humanité.

Devant le sérieux du sujet proposé, et en ces temps de tristesse, seul un conte empreint de poésie pouvait nous réconforter.

2 Commentaire

  • Francine
    novembre 13, 2020 at 4:05

    J’aurais le goût d’ajouter à ma façon que l’amour sans amitié est passagé tandis que l’amitié sans amour peut durer toute une vie!

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  • Lynne Lapointe
    novembre 14, 2020 at 9:25

    Ahhh j’aime beaucoup! Un conte empreint de poésie, c’est justement ce que le cœur a besoin en cette période difficile. Ton texte est léger et doux. Merci.

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