Menu
Contes / Impro

Tic-tac au salon…

Confortablement adossée dans l’immense fauteuil de cuir brun aubergine, un verre de rhum à la main, je dépose mon cigarillo dans le cendrier sur la table à café et je souris en regardant l’horloge grand-père familiale au milieu de la fenêtre du boudoir.

Certains objets commandent la nostalgie et nous emportent bien malgré nous au pays du rêve et des souvenirs. Ils hypnotisent tous nos sens. Le miroitement des portes vitrées me renvoie au chatoiement des lumières du sapin de Noël tandis que le carillon des quarts d’heure me transporte dans le gros divan du salon de mon grand-père.

Le cliquetis des glaçons de mon verre me rappelle celui des limonades de mon enfance, tandis que la fumée du cigare, véritable chemin de mon imagination, me fait fermer les yeux et reconnaître l’odeur particulière de mon grand-père.

Les lilas sur le piano embaument la pièce, mais ils ne peuvent pas masquer l’odeur musquée du cigare qui imprègne tous les meubles.

Nous sommes seuls au salon, et grand-père veut m’initier à un jeu. J’avais complètement oublié cet épisode.

─ Ce sera notre secret… Personne d’autre ne doit savoir…

─ Personne ? Même maman.

─Même maman.

Mon grand-père ouvre la porte de l’horloge, stoppe le mouvement du balancier, et se tourne vers moi.

─ Tu as une mémoire visuelle phénoménale, alors enregistre bien ce qui va suivre.

 Il positionne les aiguilles à des heures précises et dans un ordre établi. On entend un petit déclic et une chaînette dorée tombe. Il replace toutes les aiguilles sur une heure, tire sur la chaîne et une petite boîte en bois glisses au fond du boîtier. Il repart le mécanisme, et, en se retournant me dit :

 ─ refais-le, et je te donnerai le contenu du coffret.

En souriant malicieusement, je copie rapidement toutes les manipulations dans le bon ordre. Je lui apporte ma récompense… La broche de perle… J’avais complètement oublié sa provenance. Pourtant, pendant trois étés, nous avons pratiqué, et chaque fois j’ai reçu un bijou.

Mon grand-père répétait à tout le monde que j’étais un petit génie et tous riaient en affirmant qu’il était aveuglé par l’amour d’un grand-père pour sa filleule.

En privé, il me murmurait à l’oreille :

─ je sais bien que tu n’es pas un génie, tu es différente, tu es mon petit diamant brut. Personne ne te ressemble, ne permet jamais aux autres de te laisser croire que ta différence est un handicap, c’est un trésor.

En prenant une gorgée de rhum, je suis perplexe. Je n’ai plus revu mon grand-père avant sa mort. Ma mère a hérité de l’horloge et la donnée à mon frère. Pendant plus de 30 ans, cet objet est disparu de ma vie.

J’hésite, mais comme j’ai vraiment une imagination et une mémoire visuelle exceptionnelle, je suis certaine de pouvoir refaire toutes les manipulations dans le bon ordre, même après plus de 60 ans.

Je tiens le coffret dans mes mains. Il est plus massif que dans mes souvenirs. Je l’ouvre. J’y découvre une pochette en velours noir. Je dénoue les cordons et verse son contenu dans ma paume. Un collier de perles. Au fond de la boîte, il y a un papier soigneusement plié.

Des perles pour ma perle rare. N’oublie pas que tu es différente. Je suis comme toi et j’espère que tu pourras libérer tout ton potentiel.

Tendresse, ton grand-père qui t’aime.

Au salon, le temps des lilas et revenu et, en fumant, je me revois toute petite sur les genoux du vieil homme qui me lisait des histoires merveilleuses.

2 Commentaire

  • Josée Dombrowski
    novembre 20, 2020 at 4:54

    Très beau Blanche. On est avec toi!

    Répondre
    • Gaëtane Lapointe
      décembre 14, 2020 at 4:50

      L’imagination ne peut imaginer le passé longtemps remisé
      Sans être aidé par un élément clé, un élément qui a résisté
      Pour soudainement être éveillé par un besoin de recréer
      Une odeur, un goût, un son, une vision qui veut revivre le passé

      Répondre

Laisser un commentaire