Simone fait des bulles multicolores que son petit frère contemple avec fascination.
Simone :
─ Tu vois, c’est facile. Tu veux essayer?
Vincent :
─ Oui, passe-moi l’eau savonneuse.
L’enfant s’amuse avec son nouveau jouet quelque dix minutes puis, la nouveauté passée, soupire langoureusement.
─ Pourquoi est-ce qu’on ne va pas jouer au ruisseau et attraper des grenouilles?
─ Tu le sais! Papa ne veut pas qu’on quitte la cour du chalet en son absence.
─ Il ne le saura pas, car on sera revenus avant qu’il ait fini son travail. Il n’est jamais à la maison avant six heures. D’habitude maman est ici, mais elle est chez sa sœur pour le week-end. Dis oui…
─ Tu me jures que tu ne le diras jamais!
─ Je te le jure! On y va?
─ D’accord! On s’ennuie dans cette petite cour clôturée. Surtout qu’on a qu’à suivre le petit sentier pour aller au ruisseau et en revenir. La montagne est si belle et il y a tellement d’animaux qui vivent sur la rive de ce petit cours d’eau enchanteur. Il y a même des framboises en haut de la colline du grand pin. Attends, je prends un grand bol pour en rapporter.
Vincent en levant les bras au ciel :
─ Pour quoi faire? Si papa voit les framboises, il saura d’où elles viennent!
─ Petit futé! Pas surprenant que maman croit à tes entourloupettes.
Les enfants longent la clôture, puis s’enfoncent dans la forêt à l’arrière du chalet familial. Ils marchent joyeusement dans un petit boisé qui rejoint un sentier emprunté par les chevreuils et les animaux qui vont boire au ruisseau. À peine dix minutes plus tard, ils arrivent sur une plage où coule un filet d’eau limpide à l’ombre des érables et des conifères. L’eau, qui court entre les roches et suit la pente douce de la colline, scintille dans les trouées de lumière tout en cascadant joyeusement d’une roche à l’autre. Les papillons virevoltent, deux tortues paressent sur un tronc d’arbre couché de travers. Vincent, tout excité, court déjà après une grosse grenouille qui saute de roche en roche pour échapper à ce nouveau type de prédateur.
Simone, qui sourit devant la scène, repère deux yeux sous les grandes fougères et, intriguée, s’avance lentement pour ne pas effaroucher l’animal. À son grand plaisir, elle découvre que les beaux yeux sombres appartiennent à un petit faon.
─ Wow! Un faon minuscule et si fragile! Vincent, vient voir!
Elle tourne sur elle-même cherchant le chenapan des yeux lorsqu’elle entend le clapotis caractéristique d’un gamin qui court dans l’eau.
─ Vincent, tu vas mouiller tes souliers! Je ne pourrai pas cacher la vérité à papa!
Le petit garnement, pris en flagrant délit, fige au beau milieu du ruisseau et regarde ses deux pieds enfoncés dans la boue.
─ Je suis désolé! Mais je suis coincé, viens m’aider!
Simone retire ses espadrilles et rejoint son frère. La succion empêche l’enfant de relever les jambes. Après plusieurs tentatives, il se déprend enfin et les enfants s’assoient tout essoufflés sur la rive.
─ Tu voulais me montrer quelque chose?
─ Il doit s’être sauvé!
─ Qui?
─ Un faon.
─ Wow! Où… où…?
─ Sous les fougères. Je vais laver tes espadrilles et on va les cacher jusqu’à ce qu’ils soient sèches.
Tout excité, Vincent s’élance nue pieds vers les fougères, tandis que Simone se concentre sur le nettoyage des souliers souillés de boue.
Vincent ne trouve pas le faon, mais il aperçoit les traces fraîches laissées par l’animal. Il décide de les suivre. Il court sur la piste et entre dans la forêt sans même regarder où il va. Après dix minutes de poursuite, il s’arrête tout essoufflé, relève la tête et regarde autour de lui pour s’apercevoir qu’il est rendu dans une forêt très dense. Il entend soudain du bruit et, en se retournant dans sa direction, il aperçoit une belle biche et son petit qui l’observe attentivement. Pour les rejoindre, il coupe à travers bois. Immédiatement, la mère alertée, se sauve dans la montagne en louvoyant pour semer l’intrus. L’enfant suit les animaux sans hésiter et, à bout de souffle, s’arrête finalement dans une vallée sombre.
Tournant sur lui-même, il constate qu’il n’est plus dans le sous-bois, qu’il n’entend plus le bruit du ruisseau. En fait, il est… perdu!
Pendant ce temps, Simone finit de nettoyer les souliers et, en levant la tête pour disputer Vincent, elle s’aperçoit qu’il n’ait pas resté au bord du ruisseau.
─ Vincent? Où est-ce qu’il est encore passé?
Exaspérée, elle retourne vers les fougères… Une fois sur place, elle aperçoit sur le sol détrempé, les empreintes de son frère qui chevauchent celles du faon. Elle suit la piste en courant pour le rattraper. Soudain, les traces disparaissent! Heureusement, les branches cassées et les plantes couchées par le passage des trois antagonistes lui permettent de continuer. Elle avance rapidement car elle craint à tout moment de perdre leur trace. Soudain, elle l’aperçoit enfin qui pleure doucement, assis contre un grand sapin. Trop contente de le retrouver, elle le sert dans ses bras.
─ Petit fou! Tu m’as faite toute une frousse! Prends tes souliers! Ils sont tout mouillés, mais au moins, ils te protègeront les pieds.
Pendant qu’il met ses souliers, elle tourne sur elle-même plusieurs fois, mais elle doit se rendre à l’évidence, ils sont bel et bien perdus. Hésitant à partir dans une direction, elle décide de monter au sommet de la vallée pour voir plus loin. Une fois en haut, la forêt est aussi dense et cache tout ce qui les entoure.
─ Toi qui as l’ouïe très fine, est-ce que tu entends le bruit d’un cours d’eau?
─ Non…
Simone scrute les arbres en vain, elle ne peut pas rejoindre de branches assez basses pour grimper.
Soudain, sortis de nulle part… un… deux… trois louveteaux se dirigent vers les enfants.
Vincent :
─ Ce sont des chiens?
─ Je dirais… plutôt des louveteaux. Qui dit bébés loups, dit maman louve. Je n’aime pas ça!
Un des louveteaux plus gros et plus curieux s’avance sans peur tandis que ses deux frères restent sur leur garde. Enhardis par l’inaction des deux humains, il saisit un pan de la veste de Simone et tire dessus comme s’il voulait qu’elle le suive.
─ On dirait qu’il veut que tu le suives.
Simone impatiente :
─ Ne sois pas ridicule, on ne suit pas un loup!
L’animal ne lâche pas prise, au contraire il insiste, et les deux frères rassurés saisissent le gilet de Vincent et imitent leur frère.
Simone, touchée par l’énergie que dégage le louveteau, change d’avis.
─ Je vais le suivre, j’ai confiance en lui. Je vais l’appeler Pattes blanches. Ça va, Pattes blanches, on te suit.
D’abord hésitants, les deux enfants se laissent guider par leurs étranges compagnons, puis sentant que les animaux sont calmes, ils se sourient et flattent leurs nouveaux amis avec confiance. Une synergie s’installe et les humains suivent docilement le petit trio. Après plus de cinquante minutes de marche, les animaux s’arrêtent sous un immense pin blanc.
─ Et maintenant, on fait quoi, mon petit fripon?
Le louveteau fait le tour de l’arbre et lève la tête. Simone suit son regard, et découvre avec stupeur un escalier de métal menant à une cache de chasseur. En y regardant de plus près, elle découvre le mécanisme permettant de déployer le panneau du bas permettant d’accéder à la partie supérieure de l’échelle. Elle s’en sert et le panneau tombe à leurs pieds.
─ Je vais monter pour tenter de retrouver notre chemin de retour.
Au même moment, on entend un long hurlement de loup. Comme ils peuvent être très loin, Simone ne panique pas. Par contre, Vincent saute sur l’échelle et grimpe rapidement et avec beaucoup d’énergie. Simone, découragée, constate que son frère est déjà rendu en haut avant même qu’elle n’est pu l’empêcher de monter.
─ Quelle journée!
En regardant les louveteaux, elle constate qu’ils ont peur et, surprise, elle s’adresse à son nouvel ami.
─ Voyons, Pattes blanches, ce sont des loups, probablement ta meute qui te cherche. Non? Tu trembles? Les hurlements se rapprochent et soudain elle aussi a peur. Elle grimpe rejoindre son frère. Les louveteaux se sauvent rapidement. Une fois en haut, elle ferme l’ouverture de la cache afin d’éviter une chute et… sous eux un immense loup gris borgne grogne avec violence. Il est rapidement rejoint par quatre autres loups.
La meute grogne sous l’arbre et le mâle Alpha se couche sous l’échelle. Simone l’observe et, lorsqu’il lève son œil unique pour la regarder dans les yeux, elle comprend qu’il s’agit d’un être malfaisant, le loup du Petit Chaperon Rouge, de la Chèvre de monsieur Séguin, le loup que tous les enfants craignent. Pour elle-même, elle murmure :
─ Enfuis-toi Pattes blanches! Il ne faut pas qu’il te rattrape, il te tuerait, j’en ai la conviction! Je lis dans son regard une cruauté sans pareil!
Vincent, sentant l’angoisse de sa sœur :
─ Sans Pattes blanches, ils nous auraient trouvés! Ils nous ont sauvés en nous mettant hors de portée de ce monstre. Il est très méchant, je le sens!
Au loin, le ciel se zèbre d’un éclair blanc, le vent se lève et Simone, qui scrute l’arbre où ils se sont réfugiés, remarque que les écailles des pommes de pins se referment. Un orage se prépare. Une chance, la cabane est solide. Au fond dans des caisses, elle aperçoit deux sacs de couchage et une lampe de poche. Pour occuper son frère et cacher sa peur, elle dispense des instructions.
─ Vérifie tous les taquets qui retiennent les panneaux et la porte. Mets les caisses de bois au centre, je vais faire un lit avec les sacs de couchage et m’assurer que la lampe de poche reste sur place à portée de main.
L’orage se déchaîne, et les deux enfants se couchent au centre de la cache, entrelacés. Lorsque la tempête cesse, ils ont trop peur pour bouger et Simone remercie Pattes blanches de les avoir conduits à l’abri de la pluie et du borgne.
Au chalet, le père des enfants est de retour et constate que les enfants ne sont plus là.
L’orage a lavé toutes les traces et, comme la nuit tombe rapidement, il appelle la police locale pour signaler la disparition des enfants. On l’informe que les recherches ne pourront pas commencer avant le matin suivant.
Dans la cache, Simone a ouvert un panneau et, en fouillant dans une caisse, a trouvé des boîtes de conserve, un ouvre-boîte, il y a aussi des biscuits soda et, surprise, des cannettes de Coke. Elle sourit dans le noir. Elle prépare des biscuits au thon avec du Coke comme boisson. À la lumière de la lampe de poche, les enfants mangent rapidement.
─ Je suis désolé, Simone, tout ça est de ma faute!
─ Ne t’en fais pas. On est au sec, on a de la nourriture et on est en sécurité. Elle saisit la lampe de poche et la pointe vers le bas de l’arbre. Les loups sont toujours couchés au même endroit.
─ Ils sont encore en bas?
─ Oui.
─ Tu crois qu’ils auraient fait du mal à Pattes blanches?
─ J’en suis certaine.
─ Je ne savais pas que des loups vivaient si près du chalet.
─ Moi non plus.
Les enfants, épuisés, se blottissent l’un contre l’autre.
Au chalet, une voiture se stationne dans l’entrée du père des enfants, à côté de celle des policiers venus discuter de la marche à suivre.
Le père aux aguets ouvre la porte au nouveau venu.
─ Bonjour Jean-Guy. Tu es au courant? Une chance que Colette est en visite chez sa sœur.
─ Ne t’en fais pas. Demain, je t’emmène à ma cache de chasse. En haut, on voit toute la forêt. En plus, j’ai un pistolet à fusées éclairantes. En les voyant, les enfants se dirigeront vers nous. Simone est très débrouillarde. D’ailleurs, cela me surprend beaucoup qu’elle se soit aventurée en forêt.
─ J’ai ma petite idée! Vincent a dû faire des siennes.
Rassuré par le plan de son ami et encouragé par la battue organisée par la police, il espère que les enfants ont pu trouver un abri pour la nuit.
Dans la cache.
─ Tu crois que la maman de Pattes blanches le cherche?
─ Je l’espère, l’amour d’une mère est le seul amour invincible, éternel et inconditionnel, elle le défendra contre le borgne! Il faut dormir. Demain sera une grosse journée. Je t’aime.
─ Moi aussi.
Un rouge-gorge chante joyeusement sur une branche de l’arbre de la cache et éveille Simone qui, tout endormie, se demande où elle se trouve.
─ Ah oui! La cache… En allant voir à la fenêtre, elle constate que le soleil est haut dans le ciel.
Au même moment, on entend des voix d’hommes qui appellent :
SIMONE, VINCENT! SIMONE, VINCENT!
Vincent tout content :
─ C’est PAPA!
Simone surprise :
─ Comment ont-ils fait pour nous retrouver aussi vite?
En regardant en bas, elle constate avec soulagement, que le borgne et les loups s’enfoncent à regret dans la forêt. Avant de disparaître, le borgne se retourne dans leur direction.
Vincent :
─ ON EST LÀ, PAPA, PAPA, PAPA
Jean-Guy :
─ Ma foi, les enfants sont dans la cache! Appelle les policiers, s’ils ont passé la nuit là-haut, ils étaient au sec et avaient de la nourriture.
Les deux hommes arrivent sous le grand pin au moment où Vincent entame sa descente.
Père :
─ Doucement! Ce n’est pas le moment de se blesser. Simone, tu es là?
Simone :
─ Oui papa!
Les deux enfants rejoignent les adultes et Jean-Guy remonte l’échelle en souriant.
─ Simone, je t’avais défendu de quitter la cour!
─ Je sais… Je suis désolée.
─ C’est de ma faute, je l’ai convaincue d’aller au ruisseau, puis j’ai suivi un faon et nous nous sommes perdus.
─ Sans Pattes blanches, nous serions sans doute morts.
─ Qui est Pattes blanches?
─ Le louveteau qui nous a amenés à la cache.
Les deux adultes incrédules se regardent d’un air entendu.
─ On en parlera plus tard. Pour l’instant, je désire qu’on rentre au chalet le plus rapidement possible.
Le petit groupe retourne sur ses pas.
En haut de la colline, dans les hautes herbes, une belle louve immobile suit du regard le mouvement des hommes. Dès qu’ils ont quitté la lisière de la forêt, elle descend et tourne autour de l’arbre en sentant avidement, puis elle bifurque vers la droite, le museau au sol.
Après un bon bain et un petit-déjeuner copieux, les enfants sont de retour dans la cour, tandis que leur père, remis de sa frousse, remercie les dernières personnes venues prêter main-forte aux autorités.
Le père retrouve les enfants.
─ Simone, viens t’asseoir près de moi. On est seuls maintenant, tu peux me dire la vérité.
─ Mais c’est la vérité papa, je te le jure!
─ Un louveteau n’agit pas ainsi!
─ Papa, j’étais là! C’est la vérité!
─ Bon! L’important c’est que vous soyez sains et saufs. On ne sort pas de la cour?
Les enfants en chœur :
─ Oui papa!
─ J’ai eu ma leçon, je ne vais pas recommencer.
─ Je te connais, mon lascar! Mais je suis sérieux. Une seule désobéissance et je vous mets au camp de jour en ville avec oncle George, pour tout l’été.
Simone, atterrée :
─ Je ne refais jamais deux fois de suite la même erreur, crois-moi.
Tout semble être rentré dans l’ordre.
Le matin suivant, en sortant sur la véranda de la cour, Simone entend une plainte près de la clôture. Alarmée, elle court voir ce qui se passe.
Son cœur s’arrête, elle n’en croit pas ses yeux. À quelques pas à l’extérieur de la clôture, Pattes blanches git dans l’herbe haute, blessé à plusieurs endroits.
Sans perdre une minute, elle se précipite en larmes dans la maison en criant de toutes ses forces :
─ PAPA! PAAPAA! PAAAPAAA!
Le père, paniqué, accourt :
─ Mais qu’est-ce qu’il y a?
─ C’est Pattes blanches, il est blessé, il faut le sauver!
─ Il est où?
─ À côté de la clôture, viens vite.
Simone part en courant, suivie par son père qui ne veut en aucun cas qu’elle affronte seul un animal blessé. Il se retourne vivement vers Vincent qui accourt, alerté par les éclats de voix.
─ Toi, tu restes à l’intérieur! C’est un ordre, tu as compris.
Il sort rapidement en suivant sa fille qui vole au secours de son ami à quatre pattes.
Dans l’herbe haute, il découvre le petit loup tout ensanglanté qui peine à lever sa tête vers Simone qui déjà se jette à genoux pour prendre la petite tête de son ami canin et la poser sur ses genoux. Elle pleure silencieusement en implorant du regard son père complètement abasourdi par le spectacle désolant qu’il a sous les yeux. L’azur des yeux de sa fille est à jamais balayé par l’angoisse, et il sait qu’elle attend de lui un miracle. Mais… comment… d’abord la rassurer, puis… Eureka! Il saisit son cellulaire et appelle son ami vétérinaire qui habite à deux pas de là. Pourvu qu’il soit chez lui.
Ça sonne, un coup, deux coups, trois… il répond au soulagement du père.
─ Charles, c’est François! Oui les enfants vont bien. Par contre, j’ai un louveteau blessé sur mon terrain et s’il meurt, Simone ne me le pardonnera jamais! Tu peux venir?
OUI! On t’attend.
Il se retourne, soulagé, et en regardant sa fille directement dans les yeux, il lui dit :
─ Charles s’en vient, s’il y a quelqu’un qui peut sauver ton petit loup, c’est lui.
Pour se calmer, il va à l’arrosoir, vide une jardinière et y verse de l’eau qu’il ramène rapidement. Il prend son mouchoir pour nettoyer ce qu’il peut et fait un garrot en haut de la plaie de la cuisse avec sa ceinture.
─ Maintenant, il faut attendre Charles. Sois courageuse.
Simone flatte l’animal et l’encourage à tenir bon. Le père constate avec surprise que l’enfant et l’animal semblent avoir tissé des liens étroits en un laps de temps très court. Heureusement, on entend les freins de la voiture du vétérinaire dans l’allée avant. Le père le rejoint et le guide.
─ Alors, où est notre petit malade… Surpris, il s’arrête et, en se retournant vers Charles :
─ Tu es sérieux c’est un loup!
─ Bien sûr que c’est un loup!
─ Je croyais que tu avais pris un chien bâtard pour un loup.
Il se penche sur l’animal et l’ausculte de la tête aux pieds. Il lui fait deux piqûres.
─ Il est mal en point, mais je l’emmène à la clinique où on pourra mieux le soigner. Il vivra. Par contre, je n’aime pas ce que je vois, pas du tout. Il y avait trois louveteaux Simone?
─ Oui, ils étaient trois.
─ Où sont les deux autres?
Simone lève les épaules.
─ Je t’emmène avec moi, tu vas pouvoir rassurer ton protégé. Je reviens aussitôt l’animal stabilisé. François, il va falloir éclaircir cette histoire. Je n’aime pas ce que ta fille me raconte. À tantôt!
Simone et le vétérinaire quittent rapidement le chalet.
Vincent, inquiet, sur le pas de la porte d’entrée :
─ Il va aller mieux?
─ Charles est un excellent vétérinaire, tu n’as pas à t’en faire.
─ J’espère, papa. Sans Pattes blanches, le loup borgne nous aurait dévorés.
Le père incrédule pousse son fils à l’intérieur.
Une demi-heure plus tard, le vétérinaire est de retour dans la camionnette d’un agent de la faune et en compagnie d’une jeune fille. Surpris, le père va à leur rencontre.
─ Ton histoire m’agaçait, alors j’ai contacté Carl et il m’a informé qu’il y a une semaine, une meute de loups a attaqué le troupeau de moutons d’une ferme de la vallée. C’est la première fois que cela se produit. On a une meute qui attaque le bétail.
Vincent qui a rejoint le groupe :
─ La meute du loup borgne! Je te l’avais dit, papa!
Carl :
─ On nous a signalé un énorme loup borgne très agressif. Tu l’as vu, mon grand?
Vincent :
─ Oui, une chance on était en haut de l’arbre. Il est mauvais, monsieur, très mauvais.
Carl retourne à la camionnette :
─ Votre fils a malheureusement raison. Non seulement, certains animaux ont été dévorés, mais certains ont été tués ou blessés sans qu’on n’avale une once de chair. Je vais chercher le matériel.
Père :
─ C’est du sérieux?
Charles :
─ Très sérieux! Tellement, que j’ai demandé à Louise de garder Vincent pour qu’il reste à l’intérieur. Louise, tu peux aller à l’intérieur. Tu as une carabine? sans carabine, tu restes ici.
Père :
─ Vraiment sérieux! Dire que les enfants étaient en danger et que je ne les ai jamais crus.
Les trois adultes suivent la piste de sang laissée par le louveteau blessé et s’enfoncent lentement dans le bois. À peine cinquante mètres plus loin, ils tombent sur les deux autres louveteaux. Carl se penche sur eux et secoue la tête.
─ Ils sont morts, tués par un autre loup, les morsures sont celles d’un gros mâle. Votre protégé a eu de la chance.
Au même instant, les trois hommes voient des branches bouger à vingt mètres en avant d’eux, et l’agent de la faune braque son arme dans cette direction. Lentement, une belle louve sort du bois et les regarde avec tristesse.
Carl toujours en joue :
─ Probablement la mère, voilà pourquoi un des petits s’en est sorti. Elle me semble pas mal amochée. Tu crois que tu peux la sauver, Charles?
On entend le bruit d’une fléchette et la louve touchée s’écroule sur le sol.
Père :
─ Qu’est-ce que tu fais?
Charles :
─ Je l’ai endormie pour pouvoir la soigner. C’est une louve adulte, pas moyen de faire autrement.
Au même moment, derrière le père, on entend un grognement sourd. L’agent de la paix n’a que le temps de pivoter sur lui-même pour tirer sur un loup énorme qui, la gueule ouverte, attaquait par derrière le père distrait. Touché en plein cœur, le loup s’écrase aux pieds de sa proie, qui tremble de la tête aux pieds, pendant que l’agent tourne plusieurs fois sur lui-même l’arme en joue toujours prêt à faire feu. Un silence de mort règne sur la forêt, tandis que le vétérinaire pointe du doigt quatre loups fuyant dans les hautes herbes.
─ Une vraie hécatombe. C’est la première fois de ma carrière que je tire sur un animal qui attaque un humain.
Le père s’adressant à Charles :
─ Tu sembles très calme!
─ Détrompe-toi, mon rythme cardiaque est au zénith!
Pour se calmer, il ausculte la louve endormie et secoue la tête, déçu.
─ Tu peux encore la sauver?
─ Malheureusement non. La plaie est très infectée et l’attaque a endommagé des organes vitaux. Je vais l’euthanasier pour qu’elle ne souffre pas inutilement.
─ Je voudrais éviter que Vincent ne voit les animaux morts. Je lui raconterai l’histoire plus tard dans mes mots. Simone va s’attacher encore plus à Pattes blanches maintenant qu’il est orphelin.
─ Qu’elle est orpheline, c’est une femelle.
─ Je vais chercher le camion et m’approcher le plus possible.
En attendant le retour de l’agent, les deux hommes ébranlés, assis sur un tronc d’arbre et contemplant avec effroi et lucidité les quatre cadavres à leurs pieds, prennent soudain conscience du danger qu’ils ont couru.
François, soudain haletant, s’appliquant à réprimer le tremblement qui fait vibrer sa voix et tout son corps, se passe les mains dans les cheveux :
─ Quand je pense aux enfants seuls dans la forêt et à ce loup à leur trousse, je…
Il ne peut achever sa phrase et s’écroule en pleurs. Charles le prend par les épaules en tentant de le calmer. La crise d’angoisse passée, Charles contemplant l’énorme mâle Alpha :
─ Je suis content que ce loup soit mort. Je suis convaincu que sa blessure à la tête a transformé ce prédateur en tueur sanguinaire. Je vais demander une autopsie pour en avoir le cœur net.
─ Toute une histoire, mon vieux! Simone va vouloir garder la petite louve! Un loup, ce n’est pas un chien, tu sais! Je ne crois pas que Colette va accepter une louve à la maison, elle a déjà peur des petits chiens! D’un autre côté, après ce que nous venons de vivre, j’ai une grosse dette envers cette louve et ses petits. Ils ont sauvé la vie de mes enfants! Simone me ressemble, elle est têtue comme une mule. Un vrai nœud gordien!
─ Je crois que j’ai une solution. Les enfants sont authentiques dans leur attachement. Simone veut avant tout le bonheur de Pattes blanches. Je connais un centre qui intégrerait le louveteau dans une meute où elle pourrait grandir et élever ses petits.
─ Laisse-moi parler à Simone. Je vais lui promettre qu’elle pourra la voir tant qu’elle voudra, avant qu’elle parte pour le centre. Elle pourra aussi la revoir plus tard.
L’agent arrive sur les lieux et les quatre corps sont hissés à bord de la caisse arrière.
Sur le chemin du retour Charles demande à François de le laisser parler à Simone en tête-à-tête.
─ Je vais vous déposer chez vous. Merci pour votre collaboration. Est-ce que vous désirez obtenir une copie de l’autopsie que l’on va pratiquer sur les bêtes?
─ Non, je préfère en discuter avec Charles plus tard.
De retour à la clinique, le vétérinaire, secoué mais calme, se dirige vers les cages de ses patients où Simone berce doucement un Pattes blanches ragaillardi qui se colle contre elle avec plaisir.
─ Bonjour, ma belle! Elle semble aller beaucoup mieux!
Simone veut se lever, mais il l’empêche et couvre tendrement l’animal avec une couverture.
─ Ses frères sont morts?
─ Oui… sa mère aussi.
Simone pleure doucement en berçant la petite orpheline.
─ Je sais, que vous avez des liens très étroits toutes les deux. Cela arrive rarement, mais quand c’est là, c’est très fort.
─ À la vie à la mort!
─ Je comprends… mais Pattes blanches est une louve, Simone, elle a besoin d’une meute, elle peut devenir une mère et vivre libre, pas dans une cage ou une maison. Tu ne peux pas l’emmener chez toi. Ta maman ne pourra pas la garder.
─ Je ne veux pas l’abandonner! Jamais… jamais…
─ Si je trouvais un endroit qui lui permettait de vivre en meute et où tu pourrais aller la voir, est-ce que tu accepterais de la quitter?
─ Tu es sûr qu’ils la traiteront bien?
─ Sûr et tu pourras aller la voir. Vous êtes des âmes sœurs, elle n’oubliera jamais ton odeur, le son de ta voix et de tes pas. Tu n’auras qu’à l’appeler pour qu’elle accoure vers toi. Peut-être qu’un jour, elle viendra avec ses petits.
─ Je veux venir la voir tous les jours tant qu’elle sera ici!
─ Dès qu’elle sera guérie, je contacterai le Centre. Tant qu’elle ne sera pas transférée je la garderai chez moi où tu pourras venir tant que tu veux.
─ Tu promets! Une vraie promesse… pas une boutade d’adulte pour se débarrasser d’un enfant encombrant.
─ Une vraie promesse. Tu peux rester jusqu’à la fermeture. Je te ramènerai chez ton père.
L’enfant, satisfaite, sert la petit malade dans ses bras.
2 Commentaire
Lynne Lapointe
décembre 4, 2020 at 8:26Vraiment beau conte que les petits et les pas si petits adorent!
Gaëtane Lapointe
décembre 16, 2020 at 5:56Les enseignants ont érigé des écoles à deux portes pour les étudiants
Des tableaux blanc, des pupitres avec bancs et beaucoup de règlements
La nature enseigne le plus important, jusqu’où avec le temps passant
L’enfant fier de son développement, de ses talents vivra en adolescent