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Cette nouvelle est inspirée d’une histoire vraie que m’a conté ma mère. À vous de faire la part des choses.

─ Je peux te parler?

─ Oui, entre, j’allais me mettre dans la paperasse, tu tombes à pic!… Toi, tu as de mauvaises nouvelles à m’apprendre.

─ Plus que des mauvaises nouvelles! Un de nos collègues est un voleur et un tourmenteur!

─ Sans preuve je ne peux rien faire!

─ Écoute ça! Tu te souviens des pingouins amaigris et agressifs?

─ Oui, mais tout est rentré dans l’ordre.

─ Comme le vet n’avait pas d’explication, j’ai demandé des tests plus poussés pour avoir l’heure juste. Devine quoi? Sous-alimentation!

─ Impossible!

─ Tu te souviens des femelles chimpanzés qui avaient un comportement si étrange et avaient maigries à vue d’œil. Les même tests concluent à de la sous-alimentation… et j’ai demandé à la nouvelle vétérinaire d’examiner les femelles… Devine quoi?

─ Mauvais traitements?

─ Pire… Torture. Elles seraient tombées à répétition dans les barbelés.

─ Pas des guenons… impossible. Comme je te connais, tu as un suspect, mais il va falloir l’attraper sur le fait, sinon c’est sa parole contre la nôtre.

─ Tu ne t’en doutes pas un peu?

─ Si… il est en charge de quel animal actuellement?

─ Les ours polaires.

─ Il torture les ours polaires?

─ Il est encore en formation avec Matthieu et, hier matin, celui-ci était dans mon bureau pour me demander de mettre Gérard en charge d’une autre cage, car la femelle, qui a toujours été imprévisible est de plus en plus agressive.

─ Comment peut-il maltraiter des ours polaires?

─ Matthieu l’a vu passer son pic de métal contre les barreaux jusqu’à ce que la femelle, agacée par le bruit, vienne grogner. Il a aussi remarqué que le mâle portait des marques de pics. Quand il l’a mentionné au gardien, il s’est justifié en alléguant un comportement belliqueux.

─ La femelle oui… pas le mâle. Il va falloir monter un dossier. Comme je sais que tu détestes ce genre d’individu, je te confie le dossier. Remonte le plus loin possible.

─ J’ai déjà contacté le Jardin zoologique qui l’employait avant nous. Et devine… Les lionnes sous sa responsabilité ont attaqué son successeur et l’autopsie des bêtes a révélé deux cas de sous-alimentation, mais comme il n’était plus responsable de cette cage, il s’en est sorti. Par contre, ses collègues lui ont clairement fait comprendre qu’il était mieux d’aller travailler ailleurs.

─ Est-ce que le personnel l’apprécie?

─ Seulement le syndicat.

Soupir…

─ Prolonge la formation. Dis à Matthieu de faire gaffe, je ne veux pas qu’il paie la note. Je veux que tu le suives à la trace. S’il vole la nourriture, on pourra le virer vite fait. Sois discret, ce genre d’individu est toujours sur ses gardes.

─ Fie-toi à moi, il ne fera pas vieux os.

Resté seul, le directeur soupire, car il y a toujours des risques avec la maltraitance, surtout quand on parle d’un grand carnivore.

─ Il ne faut absolument pas que les ours aient faim.

Il signale le numéro de Matthieu.

─ Matthieu? Ah! bonjour Gérard, Matthieu n’est pas encore arrivé? Des problèmes? Non, non, je révise les congés et j’ai besoin de confirmer certaines informations. Demandez à Matthieu de m’appeler quand il sera de retour. Il faut attendre Matthieu avant d’entrer dans la cage, ne jamais être seul… Je sais, je sais vous avez de l’expérience avec les grands fauves, mais on est jamais trop prudent. Je suis responsable de votre sécurité.

Il repose le combiné.

─ Non seulement, il n’aime pas les animaux, mais en plus, il les sous-estime. Ça m’énerve trop, je le mute demain matin.

Dans la cage des ours polaires, la femelle semble nerveuse et le responsable du ravitaillement qui passe devant sa cage frissonne.

─ Cette femelle m’a toujours donné froid dans le dos. Elle a quelque chose de mauvais, pire, de vicieux dans le regard. Avec Gérard, c’est une combinaison explosive, je devrais en parler au directeur…

La tête basse, il s’éloigne en hochant celle-ci de droite à gauche.

─ Qu’est ce qu’il fait ce matin? On se croirait à la garderie. Je vais m’en occuper de cette grosse garce, on va voir qui est le maître.

Il attrape le boyau d’arrosage de pompier, ajuste le jet à la force maximale, prend le plus gros pic, ouvre la porte de la cage et surprend le mâle en l’arrosant en pleine gueule. Surpris, l’animal s’ébroue et recule rapidement. La femelle ne se retourne même pas et reste dans son coin.

Agacé par son indifférence, Gérard avance vers elle en faisant dos au mâle qui secoue encore la tête, tout étourdi par la violence du jet d’eau glaciale qu’il vient de recevoir. Le mâle, titubant, tombe de tout son poids sur le tuyau qui perd de sa force. Gérard se retourne pour dégager le boyau et la femelle en profite pour se rapprocher rapidement. Gérard se retourne…et elle abat son énorme patte sur le crâne du gardien de haut en bas. Il est écorché vif de la tête aux pieds. On voit tous ses organes et son cœur battre dans sa poitrine. Une préposée à l’entretien paysagé, qui travaille devant la cage, lève la tête et se met à hurler, puis perd connaissance. Sentant le sang, tous les carnivores du jardin zoologique se mettent à rugir, hurler et gronder.

En entendant cette cacophonie, Matthieu qui arrive au travail, se met à courir de toutes ses forces vers la cage. Ce qu’il redoutait le plus est arrivé, il le sait, il le sent dans toutes ses tripes. Il crie dans son téléphone : CODE ROUGE, CODE ROUGE, CODE ROUGE À LA CAGE DES OURS POLAIRES, FERMER LE JARDIN AUX VISITEURS. CODE ROUGE.

Le corps convulsé de Gérard git au sol. La femelle le regarde intensément, joue avec cette masse sanguinolente comme le ferait un chat avec un oiseau. Écorché en surface, les cordes vocales sectionnées, les organes vitaux de l’homme n’ont pas été touchés. Il crie sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche. Le grand mâle, affamé, sentant la chair fraîche s’avance lentement sous le regard affolé du supplicié qui, impuissant, roulent des yeux de plus en plus vite. Arrivé à la hauteur du visage, l’ours remarque ses deux globes qui bougent frénétiquement et, curieux, en décapsule un avec une griffe et le gobe. Il regarde la femelle qui ne bouge toujours pas et déguste le second globe qu’il semble apprécier.

Matthieu, enfin arrivé sur les lieux, constate qu’il ne peut plus rien faire d’autre qu’abattre les ours. Déjà, le tireur d’élite et le directeur se positionnent sur le toit d’un édifice adjacent à la cage.

En bas, la femelle écarte les jambes de l’homme et dévore ses parties génitales. Elle le retourne et les deux ours savourent un gigot d’humain bien saignant sous le regard impuissant des collègues.

Après avoir été privée de nourriture pendant plusieurs semaines, la femelle savoure chaque bouchée de ce sushi humain en faisant durer le plaisir le plus possible.

Tous les protagonistes de cette boucherie sont voués à une mort certaine.

Le tireur met ses lunettes et, avec horreur, constate que le gardien tortionnaire est toujours en vie et qu’il supplie la femelle.

─ Il est en vie, il dit quelque chose… On dirait qu’il supplie la femelle.

─ Il faut abattre les ours le plus rapidement possible.

─ Si je tue le mâle, il va tomber sur le gardien, empêcher les plaies de couler, le maintenir en vie pendant que la femelle continuera à le dévorer derrière la masse du mâle.

Soudain, alerté d’une présence hostile, le mâle se retourne vers le tireur, marche dans sa direction et se lève sur ses pattes arrière pour défier une dernière fois les humains. Le tireur vise au cœur, et l’énorme bête s’écrase aux pieds de son repas.

Le tireur remet ses lunettes et tente de lire sur les lèvres du condamné à mort. Incrédule, il ajuste sa mire et tire la femelle qui a la dernière minute plonge sur la carcasse sanguinolente pour sectionner l’artère et mastiquer le cœur qui battait encore dans la poitrine du gardien.

─ Qu’est-ce qu’il disait?

─ Mange mon cœur! Mange mon cœur!

Trois corps inanimés gisent dans une immense mare de sang au milieu de la cage.

─ Il faut tout nettoyer le plus rapidement possible. Pas un mot à la presse, s’il y a une fuite, c’est le renvoi immédiat. Il faut respecter sa famille. Je vais chez la veuve. Il ne faut pas qu’elle l’apprenne par les médias.

─ Matthieu, enclenche la procédure immédiatement, il faut que ce corps soit mis dans une housse le plus rapidement possible. Il va y avoir une autopsie, je veux que cela se fasse le plus discrètement possible.

Le directeur quitte les lieux, entre dans son bureau et une fois seul tombe à genoux en se prenant la tête à deux mains.

─ Comment a-t’on pu en arriver là?

Dans la cage, les employés atterrés approchent les trois victimes avec beaucoup de précaution. Le tireur garde les deux animaux en joue. Au moment de bouger la femelle, elle soulève la tête et tous reculent avec horreur. Entre ses dents, on peut voir le cœur du gardien qui doucement glisse hors de la gueule de l’animal, petit organe inanimé qui a maintenu l’homme en vie jusqu’à la dernière minute. Lorsqu’on tire la femelle plus loin, le corps humain laisse échapper l’air emprisonné dans les poumons et le mort semble pousser un dernier soupir creux. Tous sursautent d’épouvante devant ce bruit caverneux qui sonne le glas de ce corps rendu muet aux premiers instants de l’attaque.

Le directeur sonne à la porte de Gérard. Une petite voix lui répond.

─ Je n’ai besoin de rien.

─ Madame Renaud, c’est le directeur de votre mari. Je dois vous parler.

─ Il est arrivé malheur à Gérard?

─ Laissez- moi entrer, je ne veux pas vous parler, la porte fermée.

On ouvre lentement la porte et une petite femme maigre aux yeux bleus délavés fixe l’homme avec résignation. Le côté gauche de son visage est tout bleu et vire au noir. Devant la tristesse du regard de l’inconnu, elle justifie sa blessure :

─ Je suis tombée dans les marches. Je suis désolée.

─ Vous n’avez pas à l’être. Il est toujours désolant de découvrir un oiseau en cage.

Surprise et muette devant la compassion de l’homme, elle l’invite à entrer.

Une fois à l’intérieur, il constate que la demeure est vide, froide et respire le désespoir. Il l’invite à s’asseoir sur l’une des deux chaises du salon et tranquillement lui annonce la nouvelle.

─ Gérard a été blessé?

─ Gérard est décédé.

─ Il est mort. Il ne reviendra plus jamais?

Surpris par la réplique, il confirme.

Les yeux de la petite femme s’illuminent et elle ne peut retenir un sourire accompagné d’un soupir de soulagement.

─ Avez-vous de la famille ou des amies pour vous réconforter?

─ Merci pour votre compassion, mais je vais m’en sortir toute seule. Voulez-vous prendre ses uniformes?

─ Oui, si vous pouvez me les remettre.

─ Gérard les gardait dans son grand sac et je n’avais pas le droit d’aller dans le placard, mais il n’est plus là.

─ Vous obéissiez toujours à Gérard.

─ Même en obéissant, je méritais des corrections.

─ Elle ouvre une grande malle avec une clé cachée sous le tiroir de la table de chevet et remet le sac au directeur et… en soulevant le sac, constate que la malle est remplie de billets de 50 $.

─ Gérard écoulait la nourriture du jardin sur le marché noir.

Une grande tristesse se peint sur le visage du directeur sur le bord d’éclater en sanglot. Il quitte rapidement la demeure, muet devant tant de noirceur. Une fois dans l’auto, la mine déconfite, il retire ses lunettes et reste immobile pour retrouver son calme.

─ Cette demeure me donne le frisson. Comment ai-je pu être aveugle à ce point? On n’a pas deux cœurs, un pour l’homme, l’autre pour l’animal. On a du cœur ou en a pas. Dans cette demeure triste et sordide, je suis le messager de la liberté. Personne ne regrettera un tortionnaire cupide et avaricieux.

On cogne sur la vitre du passager. La femme tient une grosse boîte de carton. Le directeur baisse la vitre.

─ Je vous donne cette boîte de sushi. Je n’en mange jamais, c’était le plat favori de mon mari.

 C’en est trop, le directeur secoué par un spasme ouvre la portière et vomit sur la chaussée.

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