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Une nouvelle sur la magie des relations enfants grands-parents. Une histoire rassurante, qui met l’accent sur la dignité du cœur humain quand il vit un moment de connivence sans aucun artifice.

Assise sur le banc au fond de la cour en haut des marches qui descendent sur la grève de la rivière, une femme élancée au regard inquiet déguste une tasse de thé. Même si le soleil de fin d’après-midi fait briller sa crinière blanche de mille reflets bleutés, elle offre l’image d’une femme nerveuse et dynamique. Son visage aux pommettes hautes et aux yeux bleus délavés par les ans est complété par un menton volontaire qui annonce un caractère fort et résilient. Elle n’a jamais reculé devant l’adversité. Pourtant dans le fond de son cœur, elle sait que ses rêves et les signes en début de journée ne peuvent pas mentir. Ce n’est pas le départ qui l’angoisse, mais comment utiliser cette dernière journée avec sa petite-fille. Comment faire de cette soirée, un souvenir impérissable.

─ L’émission est terminée, grand-mère. On peut souper!

Les yeux remplis de mille étoiles, Anne regarde avec tendresse sa petite-fille qui lui parle depuis la véranda.

─ J’arrive, j’ai préparé un macaroni au fromage, comme tu l’aimes. Va te laver les mains, je te rejoins.

─ Papa et maman entrent à la maison ce soir?

─ Oui, ils seront de retour très tard. Si tu veux, avant d’aller au lit, je te raconterai une histoire sous l’érable. On boira un bon chocolat chaud.

─ Je choisis une histoire sur les dinosaures!

─ Ce soir, exceptionnellement, grand-mère choisit le sujet.

─ C’est quoi?

─ C’est une surprise!

─ J’adore les surprises!

─ Je sais.

Nostalgique, comme à toutes les fois, où elle quitte le banc sur le bord de la rivière de son ancienne maison qu’elle a donnée à sa fille, elle se redresse péniblement et marche lourdement vers la maison. Encore indécise, elle ouvre le téléviseur pour écouter les nouvelles pendant qu’elle sert le souper. Soudain, en écoutant la chroniqueuse, elle rend grâce au ciel! Elle sait enfin ce qu’elle doit faire en cette fin de journée pour remédier à un silence coupable et faire de cette soirée un souvenir mémorable.

─ Grand-mère doit mettre son courrier à jour. Tu peux regarder tes émissions favorites et je viendrai te chercher pour l’histoire avant le dodo.

─ Super!

Comme le soleil disparaît à l’horizon, elle rejoint Claire et, avant de se rendre dans la cour, lui suggère de se mettre en pyjama. Après avoir endossé son châle de laine, elle apporte les tasses sur la petite table de pierre et s’assoit confortablement sous le gros érable. Claire court vers elle en pyjama au motif de la reine des neiges et chaussée de ses mocassins fourrés.

─ C’est quoi… Dis, dis, dis!

─ Viens te coller, tu veux ton chocolat?

─ Plus tard! J’ai trop hâte? On pourra toujours le réchauffer!

─ Bon… Il était une fois… une île mystérieuse perdue au milieu de l’océan, solidement ancrée dans les abysses marins. Sur cette île vivait un petit garçon que les gens de son village avaient affectueusement surnommé Petit Oiseau car il aimait tous les oiseaux qui volaient, couraient et nageaient autour de lui. Souvent, il rapportait un oisillon blessé à la maison pour que sa mère l’aide à le soigner.

L’histoire se passe quand j’étais jeune, il y a longtemps, très longtemps.

─ Tu as déjà été jeune, grand-mère?

─ Oui, avant qu’il n’y ait des télévisions, des cellulaires et des ordinateurs!

─ Tu devais t’ennuyer?

─ Pas vraiment, nous avions d’autres façons de nous divertir. Petit Oiseau ou Jacques aimait les oiseaux, mais par-dessus tout les belles grues blanches de la rivière.

─ Des grues, c’est un gros oiseau blanc et noir sur de longues pattes, avec un petit chapeau rouge. Elles dansent pour se parler d’amour et se choisir un amoureux?

─ Oui, comme dans le documentaire que nous avons regardé hier soir.

─ Dis, grand-mère, tu crois que les oiseaux prient?

─ Pourquoi?

─ Parce qu’elles lèvent leur tête très haute en sautillant comme si elles demandaient quelque chose au ciel. Tu crois que le bon Dieu écoute les oiseaux?

─ Je crois que oui, car ils sont habillés comme des rois et des princesses, ils sont les plus grands musiciens de la nature, vivent dans les arbres et sont les seuls animaux capables de voler sur de longues distances.

─ J’aimerais bien voler comme les oiseaux… pas dans les avions… mais pour sentir le vent sur mon visage, voir le monde tout petit sous moi et partir en voyage tous les matins. On retourne dans ton île?

─ Oui…Une colonie de grues blanches vivait depuis très longtemps sur le rivage de la rivière qui traverse la vallée où vivait le petit garçon. Les habitants et les grues cohabitaient depuis des centaines d’années et, lorsque les hivers étaient trop rudes, les fermiers nourrissaient les oiseaux. Pourtant, depuis une cinquantaine d’années, le nombre d’échassiers diminuait lentement si bien qu’il ne restait plus qu’une centaine d’individus.

Un matin d’automne, en se rendant chez sa tante qui vivait loin dans la montagne, Petit Oiseau remarqua un large étang qui fumait au soleil. Ce soir là, il demanda à sa mère comment un lac pouvait être brumeux sous le soleil. Elle lui expliqua que ce petit plan d’eau était en fait une source d’eau chaude et que même en hiver, il faisait toujours plus chaud là-bas.

Intrigué, l’enfant alla visiter la source à de nombreuses occasions, en se demandant comment profiter de cette extraordinaire source de chaleur. Après plusieurs visites, il eut une idée pour sauver les grues. Il alla en parler avec le maire qui trouva son idée excellente, mais plutôt impossible à réaliser. Comment amener les grues à l’étang alors qu’elles avaient toujours vécues sur la rivière depuis des centaines d’années, de génération en génération.

L’enfant tout triste rentra chez lui et tous les jours, il alla observer les grues pour mieux les connaître et mieux comprendre leur façon de vivre. Un mois plus tard, deux couples moururent tués sur la voie ferrée, laissant deux petits orphelins qu’il s’empressa de recueillir. Avec l’aide de sa famille, il construisit une petite volière à la source, et tout l’hiver, les habitants du village s’occupèrent des jeunes oiseaux. Au printemps, deux grues vivaient désormais ailleurs que sur la rivière. Les habitants, voyant le succès de l’initiative, commencèrent à sauver toutes les grues blessées. Les oisillons orphelins furent également transférés et des fermiers réussirent même à couver des œufs abandonnés. Ce qui avait été l’idée d’un enfant devint la fierté du village qui s’investit totalement dans le projet de protection. Désormais, il y avait plus qu’une cinquantaine d’oiseaux à la source. La saison suivante, dans la brume matinale deux grues adultes de la rivière vinrent y construire leur nid.

L’hiver suivant fut glacial, des froids records furent enregistrés et presque toute la population de la rivière fut décimée malgré la nourriture fournie par la population de la vallée. Ce fut grâce à la nouvelle population de la source que les grues blanches de l’île ne disparurent pas totalement. On avait frôlé l’extinction. Le temps passant, non seulement le nouveau troupeau réussit à sauver l’espèce de l’extinction, mais il permit d’augmenter le nombre d’individus de façon significative.

─ Grand-mère, une chouette dans la lune!

En levant les yeux, elle aperçoit une chouette qui vole vers elles et semble être dans la lune. 

─ Je n’aime pas les chouettes, grand-mère.

─ Moi non plus!

─ Les grues vivent toujours sur l’île?

─ Oui, elles sont devenues très célèbres, beaucoup de gens vivant à l’extérieur de l’île visitent l’endroit car il n’y a presque plus de grues blanches dans le monde.

─ Jacques a sauvé les grues!

─ Oui!

─ Il vit toujours là-bas?

─ Il s’est construit une maison tout près et il a été nommé conservateur de la réserve des grues blanches.

─ La source a changé la vie de Jacques.

─ Jacques a vu le potentiel d’une petite source, mais sans la collaboration du village, son idée n’aurait jamais vu le jour.

─ Grand-mère la chouette vient de frapper la moustiquaire. Elle est vraiment étrange.

─ Oui… Je t’ai raconté cette histoire pour que tu crois en toi et que tu comprennes que même une petite idée peut avoir un impact majeur.

─ Mon chocolat est froid… on rentre le réchauffer?

─ Oui, mon cœur.

L’enfant se jette dans les bras de sa grand-mère…

─ Je t’aime, grand-mère, et j’aime ton histoire.

Émue et fragile, elle serre l’enfant.

Au petit matin, en se réveillant, l’enfant entend quelqu’un pleurer et court consoler sa mère qu’elle vient de reconnaître. En la voyant entrer dans la pièce, celle-ci hoquète et s’essuie les yeux.

─ La chouette a emporté grand-mère?

─ Quoi?

─ La chouette est venue deux fois hier soir! Et grand-mère était très émue! Elle est au ciel avec grand-père?

─ Oui… au ciel…

─ Hier soir, en me bordant, grand-mère m’a remis une lettre pour toi. Je vais la chercher.

Les deux parents surpris se regardent incrédules.

─ Voici la lettre…

Les mains tremblantes, elle ouvre l’enveloppe et lit :

Si tu lis cette lettre, c’est que je suis morte et que je devais te révéler un secret que je ne me suis jamais décidée à t’apprendre.

Tu as été conçue quelque mois avant mon mariage avec ton père qui m’a épousée en toute connaissance. Nous t’avons accueillie avec bonheur et lorsque deux ans plus tard le spécialiste a informé ton père qu’il ne pouvait pas avoir d’enfant, nous avons toujours cru que la providence nous avait gâtés. Ton père biologique a toujours respecté notre silence. Sa femme est morte et il a quatre garçons, pas de fille.

Je sais… trop tard… et pourquoi maintenant… Tu as toujours été très proche de ton père et je ne voulais rien changer. Si tu le veux, voici le nom, le numéro de téléphone et le courriel de ton père biologique. Tu as sa bouche et sa passion pour les oiseaux.

Ta mère qui t’aime.

─ Grand-mère m’a donné un beau livre sur les oiseaux. On pourra le regarder ensemble. Tu les aimes tellement.

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